Seneque-couverture-bandeau
L’Apocoloquintose de l’empereur Claude
Pamphlet violent à l'adresse d'un prince physiquement éliminé
Sénèque. Traduction J.-J. Rousseau.
92 pages 130 X 200 mm
ISBN 978-2-919648-26-9
Parution : 23 mai 2019 - disponible
Prix : 9 €

Recensions :

Lise Wajeman, « Citrouillez citoyens! », Médiapart, 5 juillet 2019. [lire l’article]

Jean-Claude Leroy, André Bernold, « L’Apocoloquintose de l’empereur Claude. Macron sous l’œil de Sénèque ? » Lundimatin, 16 septembre 2019. [lire l’article]

Evelyne Pieiller, « Bandes de mauvais esprits », Le Monde diplomatique, novembre 2019. [lire l’article]

Claire Paulian, « Sénèque, Macron et la petite maison dans le lierre », En attendant Nadeau, 3 décembre 2019. [lire l’article]

Présentation :

QUIGNARD ! MICHON ! BERGOUNIOUX ! ÉCRIVAINS SACHANT LA LANGUE ! Ou vous autres en elle débutant ! Voyez un peu ce que Sénèque le sévère, qui savait la sienne, se permit !

À vous ! Pontcerq lance le plus grand concours de satire ménippée jamais organisé : il est ouvert aux écrivains chevronnés comme aux gratte-papier débutants. Choisissez votre chef d’Etat, de Presse, de Culture, d’Entreprise, de Police, de Pédagogie, etc., puis un légume de votre choix (ou fruit ou bête ou autre objet) – et envoyez vos pasquilles.

Par principe nous ne prendrons rien ni sur Louis-Philippe ni sur François Hollande : et d’ailleurs n’accepterons que les chefs et cheffes en exercice – ou mieux même (comme notre Claude) fraîchement éliminés du pouvoir (qu’ils soient sortis par la porte de devant et le double vantail ; ou évacués un jour en urgence par l’arrière et les jardins, quand au devant ça devenait trop compliqué… les managers, les gilets jaunes, les grognes sociales). Vous pouvez écrire en latin, ou directement en français. Attention, ne vous ébrivez pas… Oh ! C’est que la satire ménippée obéit à des règles fort strictes ; et elle a sa façon !

C’est pour vous la faire connaître que nous publions – en exemple – le coloquintage du divin Claude par le sévère Sénèque – traduit par le très-méchant Rousseau ; et dans une édition fort bien faite et richement annotée. Ouvrez voir !

Les pasquilles sont à envoyer à Pontcerq, Boulevard Volney à Rennes, ou à Berlin-Weißensee, Neumagener Str. 27, dans les quatre semaines qui auront suivi la chute du Chef choisi. 

PONTCERQ avril 2019

 

Torsten Holtz, fusain, d’après le buste de l’empereur Claude du Musée des Antiquités de Berlin, sur le Lustgarten (inv. 1965.10). Pour Pontcerq, mai 2019.

Torsten Holtz, fusain, d’après le buste de l’empereur Claude du Musée des Antiquités de Berlin, sur le Lustgarten (inv. 1965.10). Pour Pontcerq, mai 2019.

SITUATION

Messaline eut quatre années d’emprise sur l’esprit de Claude. Succession de déportements admirables, d’orgies, de trahisons. Mais plusieurs affranchis exerçaient eux aussi leur influence sur le prince. Messaline tomba. Alors une jeune nièce de l’empereur, une soeur de Caligula, femme intelligente, devina ou estima son heure​ venue : Pallas, l’un des affranchis, l’appuyait ; elle s’avança vers le prince, qui tergiversait ; elle prit sur lui, par ses caresses, l’ascendant nécessaire pour qu’il la choisît.​ Il était son oncle : on changea la loi pour autoriser ce mariage incestueux. Agrippine, ensuite, fait s’avancer le fils qu’elle a eu d’un mariage précédent : le jeune​ Domitius (qui sera Néron). Elle réussit à faire que l’empereur adopte cet enfant, au détriment du sien. Elle fait revenir d’exil un philosophe que sous l’emprise de Messaline Claude avait huit ans plus tôt, pour l’éloigner de Rome, relégué dans la Corse ; île aride ; île rocheuse et terrible. Ce philosophe est Sénèque. On lui confie à son retour à Rome l’éducation de l’enfant​ Néron. Enfin, Agrippine s’avance en direction de Claude, trop lent à mourir pour ses desseins : portant avec elle, cette fois, des poisons puissants. On cache à la ville quelques heures la mort de l’empereur en faisant sortir du palais clos des nouvelles fluctuantes sur l’état de sa santé ; en faisant entrer des comédiens – per simulationem. Enfin, quand tout est prêt, la mort est annoncée.​ Néron s’adresse aux soldats de la garde, descend les marches du Palatium ; il est porté en litière au camp des prétoriens, à qui il s’adresse, en lisant des mots que​ Sénèque a stylés. Le pouvoir est pris.​

Le jeune empereur de dix-sept ans préside aux​ cérémonies de sépulture de Claude – dont a été décidée l’apothéose. Seuls avant lui J. César et Auguste avaient été jugés dignes de l’honneur exorbitant : mais Agrippine le voulut pour son époux ; elle se désigna prêtresse de ce culte nouveau. Néron prononce un discours, écrit de même par le précepteur, et ce discours contient l’éloge du défunt : un historien raconta plus tard que lors de la cérémonie, lorsque Néron lut les phrases de Sénèque sur la sagesse de Claude, la foule s’esclaffa.

Puis le même Sénèque, peu après (quand ?) (à la demande de qui ? d’Agrippine ?) (ou de sa propre initiative ?) compose un pamphlet violent contre la mémoire de Claude, prince physiquement éliminé : rancune gardée en souvenir des sept années de l’exil corse ? acte destiné à se laver des flatteries du discours d’apothéose, voire de celles de la Consolation à Polybe, quand il s’était agi, en flattant déjà, d’espérer accourcir l’exil ? ou​ manière de contrer les ambitions d’Agrippine, qui avait pour Claude décidé cette consécration ?​

L’apothéose de l’empereur, dans cette satire, est changée en apocoloquintose, c’est-à-dire citrouillage ou incucurbitation ; ou topinambourage, coloquintage,​ courgification, gourdification ; c’est le texte qu’on va lire.​

 

CLAUDE « … ce personnage falot et si incompréhensible qu’on n’a jamais su si ce fut un homme de génie ou un idiot » (Jarry, Messaline, p. 80) / « Quant à l’empereur Claude, tel que Jarry le dépeint, il apparaît comme un personnage plus singulier encore. Ses difficultés d’élocution, certes, rappellent le Bosse-de-Nage des Gestes et opinions du docteur Faustrol, pataphysicien, mais il pourrait tout aussi bien évoquer, semble-t-il, la figure de Mallarmé. En effet, dans Messaline, Claude représente l’écrivain, celui qui invente de nouvelles lettres et rêve à ses livres. Son Livre des dés, d’ailleurs, rappelle le fameux ‘Un coup de dés jamais n’abolira le hasard’ ; de plus, parce qu’on ne sait jamais si son traité est plus rêvé qu’effectivement écrit, il évoque encore le poète de Valvins, qui consuma plusieurs années de sa vie à tenter d’approcher le ‘Livre’, ce qui se révéla impossible […]. » (Henri Bordillon, notice sur la Messaline de Jarry, Pléiade, t. 2, p. 729) / « ‘Écoutez, messieurs ! clama [Claude] d’un seul souffle. C’est moi, César, empereur, dieu, augure et versé dans toutes les sciences mathématiques, jusqu’à la musique et l’astronomie, qui parle. C’EST L’ÉCLIPSE! La lune, messieurs, qui comme vous savez fait son tour au-dessous du soleil, qu’elle le fasse immédiatement au-dessous ou que Mercure et Vénus soient entre deux, se meut en longitude comme cet astre… Aucun de vos fils, nobles sénateurs, n’est-il donc revenu d’Étrurie dignement instruit dans notre immémoriale et sacrée doctrine des aruspices, et ne sait-il déchiffrer, comme celles des victimes, les entrailles du ciel ? Il n’y a aucun danger ! Ce mime n’est pas astrologue !… La lune se meut en longitude… Ne m’approchez pas, et écoutez ! Et d’ailleurs Agrippa a chassé les Chaldéens et astrologues de la Ville ! Mais la lune, faites attention à ceci, a en outre un mouvement en latitude, ce que ne peut le soleil !… Restez tranquilles, messieurs !… Et ainsi elle passe devant et l’occulte avec son ombre ! C’est sous la questure de mon père Drusus qu’Auguste a fait défense aux astrologues de prédire la mort de personne ! Reprenez vos places ! […]’ Claude retomba, dépossédé de l’auréole écarlate, sur les coussins de la loge, et étancha la petite écume de sa bouche avec le mouchoir de Messaline. / Le soleil reprit sa place, comme tout le monde, et se remira, comme l’impératrice, pour voir s’il n’était plus trop rouge, à la fulgurante poussière de l’arène sphyngitique. / Mais quand les spectateurs s’entre-regardèrent, ils venaient de si avidement fixer l’astre reparu, qu’à la place de chaque tête, les uns des autres, ils ne perçurent plus que des taches noires, et que tout le Cirque sembla peuplé de nègres. » (Jarry, Messaline, p. 114)