« La pauvre grue estropiée regarde autour d’elle où… » / Rentrée « Santé mentale » 2022/2023 [23 septembre 2022]

« Ainsi, le corps grotesque apparaît sans façade, sans surface close, de même que sans physionomie expressive : il est incarné soit par les profondeurs fécondes, soit par les excroissances aptes à la reproduction, à la conception. Ce corps absorbe et donne le jour, prend et restitue. »

Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Gallimard, 1970, p. 337.
 

« [À l’inverse], [l]e trait caractéristique du nouveau canon […] est un corps parfaitement prêt, achevé, rigoureusement délimité, fermé, montré de l’extérieur, non mêlé, individuel et expressif. Tout ce qui sort, saille du corps, c’est-à-dire tous les endroits où le corps franchit ses limites et met en chantier un autre corps, se détache, s’élimine, se ferme, s’amollit. De même se trouve à la base de l’image la masse du corps individuelle et rigoureusement délimitée, sa façade massive et sans faille. Cette surface fermée et unie du corps acquiert une importance primordiale dans la mesure où elle constitue la frontière d’un corps individuel clos, qui ne se fond pas avec les autres. »

Ibid., p. 318

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

P1180222-silhouetteLenz-renversee-tronquee-serree-CRUCHE

        Silhouette de J. M. R. Lenz (tronquée-renversée), étudiant à Königsberg (Prusse), début des années 70. Dite « Königsberger Krug ».

 

0) « La visibilité sociale du suicide peut ainsi créer un phénomène nommé effet Werther par le sociologue américain David Phillips, en référence au célèbre héros suicidaire du roman de Goethe dont la publication, dit-on, provoqua une vague de suicides en Europe au XIXe siècle. »  (Gérald Bronner, La Démocratie des crédules, PUF, 2013, p. 168)
 

1) Pontcerq fait sa rentrée à Rennes et ailleurs en collant depuis le 15 septembre le quatrième et dernier volet de la série « Manager VIRGULE ». Les textes de la série sont pris cette fois au livre de Sandra Lucbert : Personne ne sort les fusils, Seuil, 2020. Voir [ici] la série d’affiches. [Portraits de Claude, de Valérie Messaline et de Britannicus l’enfant, par Torsten Holtz – Berlin.]
« Un manuel statistique, soucieux de chiffres : le DSM, abréviation de Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. Un manuel rédigé en LCN (Lingua Capitalismi Neoliberalis) – de l’anglais liquide. […] La psychologie mondiale se réfère au DSM. […] Le DSM invente des maladies à mesure que de nouvelles tortures de management apparaissent.» (Sandra Lucbert, Personne ne sort les fusils, Seuil, 2020, p. 53)

 

2) Nous rappelons la récente parution du Retour de Lenz à Riga, suite donnée par G. Hofmann au Lenz de Büchner. Traduction de Henri-Alexis Baatsch. Voir [ici]. Lenz n’allait peut-être pas très bien ou avait, dit-on, l’esprit dérangé, lors de son séjour au Ban de la Roche en janvier-février 1778 (au XVIIIe siècle). Le livre de Hofmann décrit l’accueil que lui fait un an plus tard à son retour à Riga après huit années d’absence son père, fraîchement promu surintendant au consistoire de la ville : Lenz arrive via Lübeck de Hertingen (dans le Bade), où un « traitement » a échoué.

 

3) « Les différents commentateurs de la vague de suicides chez France Telecom ont tout simplement été victimes d’un effet râteau. Exemple parmi tant d’autres, Libération titre, le 10 septembre 2009 : “À 22 suicides, c’est quand même qu’il y a un grave problème”. Les journalistes n’ont pas compris qu’une analyse raisonnable de cette affaire ne pouvait se faire qu’en considérant les données disponibles sur plusieurs années.
     Ici, le phénomène est particulièrement complexe car le traitement médiatique, par l’effet Werther*, a peut-être accéléré le phénomène de concentration des occurrences sur une période brève et cette accélération augmentait encore l’empire de l’effet râteau**. Ce processus d’emballement ne s’est enrayé que par la saturation du marché cognitif – quelque chose comme une lassitude, sans doute. » (Gérald Bronner, La Démocratie des crédules, op. cit., p. 173)
     * effet Werther : la couverture médiatique des suicides aurait produit après coup une hausse des suicides (cf. courbes analysées par l’auteur, p. 166). « Je ne crois pas qu’il serait juste d’écrire que ce traitement médiatique a “généré” des suicides, mais il n’est pas inimaginable de supposer qu’il a créé un effet de concentration » (p. 167).
     ** effet râteau : effet par lequel, lorsqu’on simule l’aléatoire dans notre imagination, nous avons tendance à créer des régularités et à ne pas accepter des séries de consécution (alors que le hasard en produit naturellement). « Il s’agit de la manifestation banale d’une erreur de raisonnement mieux connue sous le nom d’effet râteau. » (p. 171)
     Le couplage de l’effet râteau sur l’effet Werther dans le cas du traitement des suicides à France Telecom est analysé en détail par Gerald Bronner aux pages 152 à 177. « Depuis de nombreuses années, l’opinion publique a été préparée à concevoir le monde de l’entreprise comme une illustration de l’amoralité de l’économie de marché. Il ne m’appartient pas ici de savoir si cette vision est juste ou non, mais seulement de souligner que c’est ce récit préparatoire qui a pu rendre presque monopolistique sur le marché cognitif la douteuse théorie de la vague de suicides. » (p. 175)

 

4) Pontcerq, en cette rentrée 2022-2023, interviendra par ailleurs dans les universités ; et descendra dans les amphithéâtres, plus ou moins poliment, plus ou moins impoliment… La première intervention aura lieu à l’université de Rennes 2, le 28/09/2022.
Seront visés les amphithéâtres et départements de sciences cognitives et de sciences de l’éducation. Les raisons de cette intervention (concernant les insultes faites à la philosophie, à la psychanalyse…) (concernant Deleuze insulté) (concernant le Nouvel Esprit Critique Externalisé et la Pédagogie de la Compétence…), sont contenues dans ce petit livre nouveau – qui paraîtra exactement à cette même date :
  
                                                              
ISBN : 978-2-919648-34-4. 124 pages. Prix : 0 euro. Ce livre (ou tract) (ou flugblatt) ne sera pas vendu.  Il sera distribué gratuitement en son format électronique : il sera à récupérer [ici], sur le site de Pontcerq, à partir du 28/09/2022.
 

5) « L’une de nos préconisations par exemple c’est d[e] faire [de l’esprit critique] une cause nationale parce que je pense, avec l’appui d’ailleurs de Jean-Michel Blanquer, qui était présent à la remise du rapport et qui nous a semblé très sensibilisé par notre rapport… eh bien il y a un énorme travail à fournir là-dessus, un énorme travail de pédagogie, travail de pédagogie qui ne doit pas se cantonner d’ailleurs à l’espace éducatif mais qui doit irriguer toute la société parce que – c’est un des gros problèmes que nous évoquons d’ailleurs au début des préconisations du rapport – qui est, je dirais, la perméabilité psycho-sociale à un certain nombre de ces fausses idées… Tout ça, ça fait partie d’une pédagogie collective… il faut apprendre aux gens à décrypter l’espace numérique. » (Jean Garigues, historien spécialiste d’histoire, membre de la commission « Les Lumières à l’heure du Numérique », sur France-Culture, « Les matins », le 12 janvier 2022. Cf. https://www.franceculture.fr /emissions/l-invite-e-des-matins/l-invite-des-matins-du-mercredi-12-janvier-2022, 12min10-13min)

          

6) « Plusieurs tendances de fond convergent vers une même considération : une vie réussie impliquerait dorénavant la “santé” mentale. […] [L]a mobilisation actuelle sur la souffrance au travail met en exergue un degré et des formes d’expression du mal-être qui ne sont plus tolérés, et qui sont repérés bien en dehors de cette seule sphère. » (Centre d’analyse stratégique, « La santé mentale, l’affaire de tous. Pour une approche cohérente de la qualité de la vie », Rapport du groupe de travail présidé par Viviane Kovess-Masféty, février 2010, p. 7-8) / « la mauvaise santé mentale touche un citoyen sur quatre et peut conduire au suicide, qui prélève un trop lourd tribut en vies humaines ; elle grève sévèrement, par les pertes et les charges dont elle est la cause, les mécanismes économiques, sociaux, éducatifs, pénaux et judiciaires » (« Livre Vert. Améliorer la santé mentale de la population : Vers une stratégie sur la santé mentale pour l’Union européenne », Direction générale Santé & Protection des consommateurs, Commission Européenne, Bruxelles, octobre 2005, p. 7) / « Ce livre vert est une première réponse à cette invitation. Il propose à cet effet d’élaborer une stratégie communautaire sur la santé mentale qui apporterait la plus-value suivante […]. » (ibid.) / « Santé et santé mentale vont de pair. Pour l’individu, la santé mentale est le moyen de s’épanouir sur le double plan intellectuel et émotionnel, mais aussi de trouver et de tenir sa place dans la vie sociale, scolaire et professionnelle. Pour la société, elle contribue à la prospérité, à la solidarité et à la justice sociale. À l’inverse, la mauvaise santé mentale est pour les citoyens comme pour les mécanismes sociétaux une source de pertes, de dépenses et de charges de toute sorte. » (ibid., p. 8) / « La santé mentale et la santé physique sont étroitement liées entre elles. On peut tirer de cette constatation une conclusion : la prise en compte de la santé mentale dans les protocoles des soins hospitaliers généraux peut raccourcir de manière non négligeable la durée des hospitalisations et améliorer ainsi la disponibilité des ressources économiques. » (ibid., p. 9)

Circulaire de rentrée 2022/2023 de l’Éducation nationale – intitulée « Une École engagée pour l’excellence, l’égalité et le bien-être ». Volet n° 3 : « Une école engagée pour le bien-être des élèves ». Section 2 du volet n° 3: « UNE ATTENTION ACCRUE À LA SANTE MENTALE DES ÉLÈVES. […] La santé psychique des élèves constitue […] une priorité absolue : il en va de leur santé et la construction de soi de chacun d’eux à long terme. Dès la rentrée, des travaux seront lancés pour conforter le rôle des personnels médico-sociaux et renforcer l’attractivité de leurs métiers. Au-delà, c’est bien l’ensemble de la communauté éducative qui doit veiller à créer un cadre d’apprentissage serein, bienveillant, à l’écoute des besoins des élèves, etc., etc. » (« Circulaire de rentrée 2022 », NOR : MENE2219299C, Circulaire du 29 juin 2022, https://www.education.gouv.fr/bo/22/ Hebdo26/MENE2219299C.htm) / « Le bien-être poursuit son chemin dans le rôle clé qui lui est assigné pour gouverner les populations » (Mathieu Bellahsen, La Santé mentale. Vers un bonheur sous contrôle, La Fabrique, 2014, p. 107).

 

7) « Une des scènes les plus grotesques de Bouvard et Pécuchet est apocalyptique. Les deux personnages sont dans leur période cosmologique, ils parviennent à se convaincre que “le feu central diminue, et le ciel s’affaiblit, si bien que la Terre un jour périra de rafraîchissement”. Fort d’un savoir par rapport auquel, comme toujours, ils ne prennent aucune distance, ils sont affectés par cette découverte : “Cette fin du monde, si lointaine qu’elle fût, les assombrit.” C’est donc plein d’idées noires que Bouvard se promène sur la plage de galets d’Étretat : “Tout à coup le sol lui parut tressaillir – et la falaise au-dessus de sa tête pencher par le sommet.” Bouvard voit le monde selon ce qu’il vient d’apprendre de sa fin prochaine. Il fait corps avec son nouveau savoir et détale, plantant là son ami qui, sans manifester pour autant la moindre ironie, a une appréciation différente de la date du dernier jour (“Arrête ! Arrête ! la période n’est pas accomplie !”). Mais le monde ne finit pas et les pronostics savants se contredisent sur l’échéance : mieux vaut alors s’occuper d’autre chose que de l’avenir de la Terre et s’intéresser à son passé. Pour un temps, Bouvard et Pécuchet seront géologues. » (Michael Fœssel, Après la fin du monde, Seuil, 2012, p. 241) / « Les espérances de Bouvard et de Pécuchet sont des rêves d’experts. Ils envisagent toute chose selon la méthode du problem solving : “Les tomates et les petits pois étaient pourris. Cela devait dépendre du bouchage ? Alors le problème du bouchage les tourmenta.” » (p. 242) / « Flaubert n’a pas su achever son récit, mais ses plans indiquent que Bouvard et Pécuchet, en désespoir de cause, seraient retournés à leur première profession : copistes. Puisque la vie n’est pas faites de nécessités, “ils n’ont plus aucun intérêt dans la vie” et se rabattent sur les écritures. Cette fin n’aurait peut-être pas été aussi triste qu’il y paraît. L’activité de recopier les aurait confrontés de manière plus sereine à la pluralité des représentations qui les a tant affligés dans l’existence. Comme Foucault l’a vérifié en citant les rapports des psychiatres, la copie littérale est un exercice de distance. Elle insinue le doute et provoque parfois le rire sur les expertises les plus définitives. » (ibid.)

 

8) « La mauvaise santé mentale a de multiples répercussions. Elle coûte à l’Union européenne de 3 à 4 % du produit intérieur brut, essentiellement par suite d’une perte de productivité. Les démences sont l’une des principales causes des départs à la retraite anticipés ou des mises en invalidité. » (http://www.santementale2014.org ; cité par Mathieu Bellahsen, La Santé mentale, op. cit., p. 69-70) / « Dans les pays en développement, les troubles mentaux risquent d’augmenter de façon disproportionnée dans les décennies à venir. » (OMS, « La situation de la santé mentale », in Guide des politiques et des services de santé mentale, 2004, p. 1 ; cité par M ; Bellahsen, op. cit., p. 70) / « La santé de la population favorise la résilience et la croissance économique. Des personnes en meilleure santé peuvent accroître les revenus des ménages, sont plus productives au travail, s’adaptent plus facilement aux changements professionnels et peuvent rester actives plus longtemps. » (OMS, Déclaration d’Adélaïde sur l’intégration de la santé dans toutes les politiques, 2010, cité par M. Bellahsen, op. cit., p. 100) ; « Dans la dernière version du DSM, une tristesse qui persiste pendant plus de quinze jours (deux mois dans l’ancienne version) après le décès d’un proche sera considérée comme un deuil pathologique susceptible d’indiquer un traitement par antidépresseur. » (Mathieu Bellahsen, La Santé mentale, op. cit., p. 56)

 

9) « Le 23 juillet 1779, au matin, le bateau de Lübeck était à peine arrivé à Riga que le poète Jakob Michael Reinhold Lenz se rendit au domicile de son père, escorté de deux matelots ; il devait encore trois ducats pour sa traversée. Son père venait tout juste d’être nommé surintendant général de Livonie et il était tout occupé à son installation dans sa nouvelle demeure et à des festivités qui devaient se donner le soir même. Il est donc là dans la pièce en encorbellement à l’étage. Cela fait onze ans qu’il n’a pas vu son fils et n’attend pas son retour. Lenz, hors d’haleine et tout couvert de poussière, est entré. “Père !” Et ses mèches blondes en désordre autour de son pâle visage enfantin il court aussitôt vers lui, se jette à ses pieds. Il crie : “Je suis venu… pour… pour vous baiser les mains ! Pour vous dire que… voilà… Je suis de retour ! La pauvre grue estropiée – il dit toujours d’une voix criarde – regarde autour d’elle où elle pourrait poser ses pattes.” » (Gert Hofmann, Le Retour à Riga du fils prodigue J. M. R. Lenz, p. 7)   

 

*

« La santé mentale est un Droit de l’homme. Elle est indispensable à la santé, au bien-être et à la qualité de la vie. Elle favorise l’apprentissage, le travail et la participation à la société. »

« Pacte européen pour la santé mentale et le bien-être » adopté par la conférence Together for Mental Health and Well-Being, Bruxelles, juin 2008.

 

« Au vu de ces compétences, la santé mentale est un domaine qui se prête à l’action de la Communauté européenne en raison de la contribution que la bonne santé mentale de la population peut apporter à la poursuite de certains objectifs stratégiques de l’Union européenne […]. »

Livre vert « Améliorer la santé mentale de la population », 2005, op. cit., p. 10.

 

« Une personne en bonne santé mentale est donc quelqu’un qui se sent suffisamment en confiance pour s’adapter à une situation à laquelle elle ne peut rien changer. »

Centre d’analyse stratégique, « La Santé mentale, l’affaire de tous. Pour une approche cohérente de la qualité de vie », La Documentation française, 2010.

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

Mens sana in corpore sano… *

Bel automne à toutes et tous – et joyeux plébifugue qui vient…

Pontcerq
23 septembre 2022

 

* « Maxime de Juvénal (Satire X, ligne 356). / mens signifiant la santé mentale et non l’âme (notion qui avait un sens différent à l’époque). » (« Wiktionnaire – Le dictionnaire libre » : https://fr.wiktionary.org /wiki/mens_sana_in_ corpore_ sano)