Bien des livres parlent du voyage, ou de ce que voyager veut dire. Mais peu ont la puissance d’arrachement de celui-ci. Pratique des voyages libres est un manuel, au sens le plus beau, le plus strict et le plus tranchant du mot. C’est un manuel d’arrachement, et d’invitation à la route : une injonction au départ véritable…
Anton Krotov, maître incontesté en Russie, élève l’autostop au rang d’un art – ou plutôt d’une science : son manuel entre dans les plus infimes détails concernant les conditions d’existence et de survie sur la route (nourriture, couchage, etc.), donne des conseils précis où l’usage de la raison, du langage, prend une dimension parfois singulière et inattendue… Язык до Киева доведёт. Mais ce « guide » nous embarque aussi dans le sillage de son auteur, et nous fait traverser les steppes sibériennes sans limites, par les routes de l’hiver (зимники), foncer dans un convoi de marchandises à travers le Kazakhstan, dans l’espace arrière d’une locomotive, ou atteindre Mourmansk par – 60 au milieu de janvier. « Tchitchikov souriait, en sursautant légèrement sur son coussin de cuir, car il aimait la course rapide. Et quel Russe ne l’aime pas ? Pourrait-il en être autrement, alors que son âme aspire à s’étourdir, à voltiger, à dire parfois : “Que le diable emporte tout !”. » (Gogol, Les Âmes mortes)